L'Autorité de régulation des télécommunications,
Vu le code des postes et télécommunications, et notamment ses articles L. 34-8, L. 36-5 et D. 406-1 à D. 406-4 ;
Vu la loi no 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
Vu la demande d'avis du secrétariat d'Etat à l'industrie, reçue le 12 juillet 2001 ;
Après en avoir délibéré le 7 septembre 2001,
Sur le cadre général :
Le projet de décret soumis pour avis à l'Autorité modifie les articles D. 406-1-1, D. 406-1-2, D. 406-2-2 et D. 406-3 dont la rédaction est issue du décret no 93-274 du 25 février 1993 portant création du Conseil supérieur de la télématique (CST) et du comité de la télématique anonyme (CTA). Aux termes de ces dispositions, le Conseil supérieur de la télématique est chargé de formuler des recommandations de nature déontologique, visant notamment à la protection de la jeunesse, applicables aux services télématiques et à leurs conditions d'accès. Ces recommandations prennent en particulier la forme de propositions concernant les contrats types souscrits entre France Télécom et les fournisseurs de services. De plus, il est institué auprès du Conseil supérieur de la télématique un comité consultatif appelé comité de la télématique anonyme. Celui-ci veille au respect des recommandations émises par le Conseil supérieur de la télématique, en émettant notamment des avis de suspension ou de résiliation des contrats conclus avec les fournisseurs de services qui ne respectent pas ces recommandations. Enfin, le Conseil supérieur de la télématique peut saisir le comité de la télématique anonyme de tout manquement au respect des recommandations déontologiques dont il a connaissance. Lorsque ces faits sont de nature à motiver des poursuites pénales, il en informe le procureur compétent.
L'Autorité rappelle qu'un arrêt du Conseil d'Etat du 28 juillet 2000 a confirmé la légalité de ce décret. En effet, le Conseil d'Etat a considéré « que le décret du 25 février 1993 ne méconnaît ni l'article 34 de la Constitution qui réserve à la loi de fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques et la détermination des crimes et délits, ni l'article 21 de la Constitution qui attribue au Premier ministre l'exercice du pouvoir réglementaire ».
Par ailleurs, elle souligne que le 1o de l'article 43 de la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication qui prévoyait un régime déclaratif auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel et le procureur de la République auxquels étaient soumis les fournisseurs de service télématique a été abrogé par la loi no 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi du 30 septembre 1986. La légitimité de l'existence et du fonctionnement du Conseil supérieur de la télématique et du comité de la télématique anonyme, mettant en oeuvre un contrôle a posteriori, s'en trouve ainsi renforcée.
Sur l'extension du cadre déontologique existant à l'ensemble des opérateurs :
L'Autorité prend acte avec satisfaction de ce que les modifications des points 4 et 5 de l'article D. 406-1 issues de la rédaction de l'article 1er du projet étendent la possibilité de saisine du Conseil supérieur de la télématique et du comité de la télématique anonyme à l'ensemble des opérateurs de télécommunications au sens du 15o de l'article L. 32 du code des postes et télécommunications.
L'Autorité note que les termes : « exploitant public » ou « France Télécom » sont remplacés par le terme : « opérateurs » dans ce projet de décret. Dans ces conditions, elle estime que la notion « d'exploitant public » mentionnée au d de l'article 1er du projet de décret, dans un souci de cohérence avec l'ensemble des dispositions du décret, devrait être supprimée.
Cette modification du cadre réglementaire permet d'appliquer les mêmes règles à l'ensemble des opérateurs dans leurs relations avec les fournisseurs de services télématiques. L'Autorité souscrit pleinement à une telle adaptation des règles déontologiques qui s'appliquent aux services télématiques afin de favoriser le développement de la concurrence sur la fourniture de ces services.
Le décret no 93-274 du 25 février 1993, adopté avant l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications prévue par la loi no 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications, ne concernait que les relations entre, d'une part, France Télécom et, d'autre part, les fournisseurs de services télématiques et les fournisseurs de moyens télématiques. Ce cadre réglementaire permettait seul à France Télécom de saisir le comité de la télématique anonyme « en cas de différend relatif au respect des recommandations de nature déontologique applicables aux services offerts sur les accès télématiques anonymes, écrits ou vocaux, et à leurs conditions d'accès », et « avant toute décision de résiliation ou de suspension d'un contrat passé avec un fournisseur de services télématiques et, éventuellement, un centre serveur ».
L'Autorité tient à rappeler que les services télématiques sont fournis à travers le réseau téléphonique commuté qui met en communication un utilisateur et un serveur sur lequel sont hébergés les services télématiques. La fourniture de services télématiques fait donc intervenir un fournisseur de services, le cas échéant un acteur distinct qui met à disposition des serveurs hébergeant les services télématiques (« fournisseur de moyens télématiques »), et un ou plusieurs opérateurs de télécommunications qui acheminent les communications entre l'utilisateur et les serveurs.
L'Autorité note que depuis l'adoption de la loi no 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications la collecte de trafic à destination de services télématiques est ouverte en droit à la concurrence. Dans le processus d'ouverture de ce marché, l'Autorité a adopté la décision no 98-1046 du 23 décembre 1998 relative à l'évolution du plan de numérotation pour les numéros non géographiques de la forme 08 AB PQ MC DU permettant ainsi la fourniture de services télématiques par les opérateurs alternatifs. Ainsi, alors que la concurrence sur la collecte de trafic à destination de services télématiques s'instaure progressivement depuis le début de l'année 1999, France Télécom est toujours le seul opérateur à pouvoir saisir le comité de la télématique anonyme en cas de différend ou avant de prendre une éventuelle décision de suspendre le raccordement d'un service télématique. Elle bénéficie ainsi de garanties juridiques dont ne disposent pas les autres opérateurs présents sur ce marché.
L'Autorité tient à rappeler par ailleurs que France Télécom conditionne dans son catalogue d'interconnexion l'extension de son offre d'interconnexion indirecte avec facturation pour compte de tiers aux paliers tarifaires supérieurs à 2,21 F/minute à une telle adaptation du cadre déontologique des services télématiques.
En conséquence, l'Autorité souligne que cette adaptation est attendue par l'ensemble des opérateurs de télécommunications qui souhaitent proposer des offres de collecte de trafic à destination des services télématiques et des fournisseurs de services télématiques et bénéficier ainsi de l'ouverture de la concurrence. Elle estime nécessaire l'adoption de ce projet de décret dans les meilleurs délais.
Sur le périmètre des services pouvant se voir appliquer le cadre déontologique du Conseil supérieur de la télématique et du comité de la télématique anonyme :
Le projet de décret modifie les articles D. 406-1-2 et D. 406-2-2 du code des postes des télécommunications pour permettre à l'ensemble des opérateurs de saisir le CST et le CTA. Cette modification semble ainsi donner la possibilité aux opérateurs mobiles de recourir au cadre déontologique modifié par le projet de décret. Compte tenu du développement des services de type « kiosque » accessibles depuis les réseaux mobiles, l'expérience du CST et du CTA présente un intérêt tout particulier pour les opérateurs mobiles. Par conséquent, l'Autorité estime nécessaire que le cadre déontologique modifié puisse s'appliquer aux services accessibles depuis les réseaux mobiles et pouvant être assimilés à des services télématiques. Si tel n'était pas le cas, l'Autorité recommande de modifier le projet de décret afin d'étendre le champ de compétence du CST et du CTA aux services accessibles depuis les réseaux mobiles.
Sur la composition du Conseil supérieur de la télématique :
L'Autorité rappelle que la régulation des services télématiques est assurée par le Conseil supérieur de la télématique et le comité de la télématique anonyme créés auprès du ministre chargé des télécommunications par le décret du 25 février 1993 précité. Ces organismes, constitués de représentants de l'Etat, des professionnels de la fourniture des services télématiques et des utilisateurs sont présidés par des membres du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation.
L'Autorité note que le point 4 de l'article D. 406-1-1 issu de la rédaction de l'article 1 du projet modifie la composition du CST en y ajoutant, du côté des professionnels, trois représentants des opérateurs de télécommunications « dont un représentant de l'exploitant public » et, du côté des utilisateurs, deux représentants supplémentaires.
L'Autorité suggère une composition différente du CST. Elle considère que la composition du CST serait plus représentative si elle reprenait les trois catégories d'acteurs intervenant dans la fourniture des services télématiques : utilisateurs, prestataires techniques (les opérateurs et les fournisseurs de moyens télématiques) et éditeurs des services télématiques. L'Autorité propose ainsi que, tout en conservant l'équilibre entre professionnels et utilisateurs, chacune des deux catégories « prestataires techniques » et « éditeurs de services télématiques » soit représentée par cinq membres au sein du CST. Dans la catégorie des prestataires techniques, les cinq représentants pourraient se répartir entre un représentant des fournisseurs de moyens télématiques et quatre représentants des opérateurs, dont un représentant de l'exploitant public.
Sur les cas de différend dont le comité de la télématique anonyme peut être saisi :
L'Autorité note que l'article D. 406-2-2 du code des postes et télécommunications issu de la rédaction de l'article 3 du projet introduit les catégories de différend dont peut être saisi le comité de la télématique anonyme. Elle constate que le comité de la télématique anonyme peut être saisi, par l'une ou l'autre des parties au contrat, de trois types de différend :
- différends relatifs « au respect des recommandations de nature déontologique applicables aux services offerts sur les accès télématiques anonymes, écrits ou vocaux » ;
- différends relatifs « aux clauses non strictement commerciales des contrats conclus entre les opérateurs et les fournisseurs de services ou de moyens télématiques » ;
- différends relatifs « aux conditions d'accès aux services télématiques ».
L'Autorité souhaite attirer l'attention sur le troisième cas prévu.
En effet, dans la version actuelle du décret no 93-274 du 25 février 1993, les conditions d'accès peuvent faire l'objet d'une saisine du CTA au regard des recommandations de nature déontologique qui leur sont applicables : « Le comité peut être saisi par l'une ou l'autre des parties au contrat en cas de différend relatif au respect des recommandations de nature déontologique applicables aux services offerts sur les accès télématiques anonymes, écrits ou vocaux, et (applicables) à leurs conditions d'accès. »
Le texte du projet de décret prévoit toujours que les conditions d'accès peuvent faire l'objet d'une saisine du CTA, mais la rédaction de l'article 3 du projet ne fait plus apparaître que cette saisine a lieu au regard des recommandations de nature déontologique qui leur son applicables. L'Autorité estime que cette formulation plus générale pourrait être source de confusion pour les opérateurs et les fournisseurs de services télématiques. En effet, un litige portant sur les conditions d'ordre technique et financier sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'accès au sens de l'article L. 34-8 du code des postes des télécommunications relève de l'article L. 36-8 du même code et peut être soumis à l'Autorité.
A l'occasion de plusieurs décisions de règlement de différend, l'Autorité a précisé que les dispositions des articles L. 34-8 et L. 36-8 du code des postes et télécommunications sont applicables à la convention d'accès conclu entre un fournisseur de services télématiques et France Télécom, opérateur inscrit sur la liste établie en application des dispositions du 7o de l'article L. 36-7 du code des postes et télécommunications. L'Autorité s'est toutefois déclarée incompétente pour trancher les litiges en question qui ne portaient pas sur les conditions d'ordres technique et financier d'accès mais sur le respect des recommandations de nature déontologique formulées par le Conseil supérieur de la télématique en application de l'article D. 406-1-2 précité et sur le respect des clauses non strictement commerciales.
En conséquence, l'Autorité estime nécessaire, compte tenu de ces observations, de supprimer le c du projet d'article D. 406-2-2 et de maintenir au a la formulation qui était contenue dans le décret no 93-274 du 25 février 1993.
Par ailleurs, en ce qui concerne les différends relatifs « aux clauses non strictement commerciales des contrats conclus entre les opérateurs et les fournisseurs de services ou de moyens télématiques », l'Autorité suggère de préciser qu'il s'agit des « clauses déontologiques ». En effet, elle estime que le terme : « clauses non commerciales » risque d'englober des aspects autres que déontologiques et de dépasser le champ de compétence du CTA.
Sur le contrôle des services télématiques :
Le décret no 93-274 du 25 février 1993 a mis en place un mécanisme de consultation et de saisine du CST et du CTA, mais ne précise pas les modalités du contrôle opérationnel des services télématiques. Jusqu'à présent, France Télécom se chargeait de mettre en oeuvre un tel contrôle.
L'adaptation du cadre déontologique au contexte concurrentiel pose la question de la poursuite de ce contrôle et de son financement. Le développement de la concurrence nécessite que cette fonction soit assurée de manière neutre et impartiale. L'Autorité recommande que le CST se saisisse rapidement de cette question.
Sous réserve des modifications rédactionnelles formulées en annexe et des remarques énoncées ci-dessus, l'Autorité émet un avis favorable sur ce projet de décret.
Le présent avis et les propositions rédactionnelles annexées seront transmis au secrétaire d'Etat à l'industrie et publiés au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 7 septembre 2001.